Vingt ans
Il n’y a pas si longtemps, on mourait à la guerre,
Suprême sacrifice offert à la patrie,
Dans les tranchées boueuses la vie était précaire,
On mourait à vingt ans en n’ayant rien compris.
Si de nos jours, chez nous, la guerre semble proscrite,
Sans le moindre coup d’fusil et sans la moindre bombe,
On continue pourtant, fortement hypocrite,
A entretenir une lourde et triste hécatombe.
Mourir au champs d’honneur sous le feu d’la mitraille,
Avec le sentiment de mourir pour une cause,
C’est mieux que de mourir dans un tas de ferraille,
Sur l’asphalte funèbre, enfin je le suppose…
Sur la place du village, pas un seul monument
En souvenir de ceux qui sont morts pour la route,
Le temps d’un p’tit moment d’sincère apitoiement
Et l’on prend sa voiture en doublant coûte que coûte.
A quand une loi féroce votée au parlement,
Interdisant, bon dieu, de mourir à vingt ans,
Une loi votée bien sûr, certes, unanimement,
Messieurs les députés, quel projet exaltant !
Quelle soit accidentelle ou quelle soit volontaire,
Bannissons vite la mort qui foudroie à vingt ans,
Impitoyablement, oui faisons lui la guerre,
Plus question de partir au milieu d’un printemps.
Respectons les usages et laissons les aînés,
Par respect forcément, s’en aller les premiers,
Il sera toujours temps après de longues années,
Dans un bout de cim’tière d’aller les retrouver.
Et tous les survivants de cette course poursuite,
Assis près de la route sur un banc de vieillesse,
Repensent, tristes et meurtris, à toutes ces morts subites
Occupants leurs souv’nirs et leurs coins de détresse.