LE ROI, LE LABOUREUR ET LE JOLI JUPON
Dans un petit royaume quasiment inconnu,
Un roi brutal, violent, de préjugés imbus,
Régnait depuis d’interminables décennies,
Terrorisant les habitants de son pays.
La moindre de ses paroles devenait une loi,
Et chacun lui devait une profession de foi.
Il aimait répéter : ‘le dogme, le dogme, le dogme,
Je l’affirme, il n’y a que c’là de vrai en somme!’
Et quand les laboureurs creusaient de beaux sillons,
Conduisant leur pégase avec application,
Le vieux roi contrôlait la régularité
Des labours qui devaient être de qualité.
A la moindre fantaisie, à la moindre incartade,
Les pauvres paysans risquaient la bastonnade.
Largeur et profondeur de la petite tranchée
Etaient soigneusement, fréquemment mesurés.
Un jeune laboureur au visage d’Apollon,
Perturbé et distrait par un joli jupon,
Conduisit son cheval en pensant à l’âme sœur
Et creusa un sillon tout en forme de cœur.
Le roi fort courroucé par cette fantaisie,
Hurlant : ‘ le dogme ! le dogme ! Ah manant tu l’oublies !
Ordonna que sa tête, pourtant apollinienne
Fût tranchée sans attendre sur un billot de chêne.
Le peuple fort ému par cette grave injustice
Menaçant le monarque du plus cruel supplice,
Lui confisqua son trône, son sceptre et sa couronne
Et l’envoya aux champs comme une simple personne.
Et le vieux roi déchu, accablé et meurtri,
Dû accomplir les tâches pénibles des petits,
Conduisant résigné un solide percheron,
Pour creuser dans la terre de très profonds sillons.
Lui qui, alors monarque, prônait l’extrême rigueur
Trouva qu’elle méritait d’s’adoucir au labeur.
Epuisé par la tâche, il ne prit pas le temps
D’enlever de grosses pierres qui le gênaient pourtant.
Les sillons sinueux comme rivière paresseuse
Attirèrent une foule très nombreuse et moqueuse
Et de tous les hameaux accoururent des vilains
Et des serfs souriants qui agitaient les mains.
Humilié le despote fit amende honorable
Et reconnût sur un ton des plus misérables,
Qu’un peu de liberté pour accomplir une tâche
N’est pas toujours nuisible et évite qu’on se fâche.
On consentit au roi une deuxième chance,
En lui redonnant trône, pouvoir et allégeance.
Alors celui-ci promit d’être moins dogmatique
Et d’adopter plutôt un esprit pragmatique.
Et Vulcain, dieu du feu, du métal, des soudeurs,
Recolla la belle tête de l’éphèbe trop rêveur,
Tandis que l’implacable mais généreuse Junon
Conseilla le mariage à l’heureux Apollon.
La source de cet émoi, le ravissant jupon,
Fût retrouvée très vite par l’ami Cupidon.
Tous les dieux de l’Olympe s’invitèrent à la noce,
Sauf heureus’ment l’infâme divinité Cronos.
Vulcain fit éclater un grand feu d’artifice,
De nombreux moutons gras subirent le sacrifice
Et Bacchus, assoiffé, remplissait tous les verres.
Neptune promit aux jeunes mariés une longue croisière.
Et je te laisse, lecteur, tirer une morale
De cette petite fable un tantinet banale,
Qui se veut bienveillante comme le dieu des soudeurs,
Dévoué Héphaïstos ignorant la rancœur.