Machine
A un rythme frénétique, la machine insatiable,
Réclame son lot de pièces qu’elle cintre allègrement
Dans un étau féroce et un bruit détestable,
Assourdissant, résonne dans les crânes cruellement.
L’huile suinte de tous ses pores et stagne en flaques brunâtres
Qui diffusent une odeur fort malsaine de friture,
La productivité doit bien sur toujours croître,
Pas question de faiblir avec la conjoncture.
Et alors tu turbines
Dans une humeur chagrine,
Car l’imposante machine
Forcément te domine.
Et alors tu turbines,
Ton pauvre morale en ruine,
Car ta santé décline,
Bouffée par la machine.
La machine se pavane devant le visiteur
Qui ignore l’ouvrier pour mieux s’émerveiller
Devant ce beau chef-d’œuvre peu revendicateur,
De plus ce travailleur n’est pas à surveiller.
Et comment se servir encore de l’être humain
Quand ce robot docile exerce en virtuose,
Du matin jusqu’au soir, la nuit jusqu’au matin,
Les tâches les plus pénibles et sans la moindre pause.
Et alors tu travailles
Dans une humeur grisaille
Car ce tas de ferraille
T’en impose par sa taille.
Et alors tu travailles,
Et ton morale défaille,
T’as le cœur en tenaille,
Insignifiante piétaille.
Le moindre éternuement et la moindre incartade
Du magnifique outil, mobilisent les élites,
Les investigations au chevet du malade
Ne se font pas attendre et partout on s’agite.
Il faut remettre sur pied l’illustrissime icône,
Joyaux de l’entreprise, orgueil des dirigeants,
De pressantes attentions, il faut lui faire l’aumône,
Pour qu’elle rapporte encore et toujours plus d’argent.
Et alors toi tu trimes
Dans une humeur victime
En masquant ta déprime
Car ton boulot t’opprime.
Et alors toi tu trimes
Toujours à plein régime,
T'as le coeur qui s'comprime
A quoi tout cela rime.
Mais ne soit pas jaloux, chétif opérateur,
Anthropoïde fragile, bipède misérable,
Subordonné geignard de patrons bienfaiteurs,
Ta carcasse en fin d’vie n’est même pas recyclable.
Une visite médicale, une fois tous les deux ans,
Une poignée de prozac pour te remettre en joie,
N’est-c’pas, pauvre croquant, largement suffisant,
Arrête donc de gémir, t’es vraiment d’mauvaise foi.
Et enfin tu t’arrêtes,
Dans une humeur guill’rette,
C’est l’heure de la retraite,
Heureux, tu fais la fête.
Et enfin tu t’arrêtes,
La vie est vraiment chouette,
Quand tu gagnes tes pépètes
En restant sous la couette.
Jour de la porte ouverte, avec ton petit fils,
Tu admires ta machine sur son large piédestal,
Tu l’effleures de la main dans un geste complice,
Elle n’est plus l’ennemie, le démon infernale.
Mais cette bonne vieille compagne des moments difficiles
Semble bien indifférente à tes gestes bienveillants
Car ton jeune remplaçant, courageux et servile,
Est bien plus productif et bien sur plus vaillant.
Et alors tu t’en vas,
Dos rond, à petit pas,
Sans saluer les gars,
Ton cœur n’est plus en joie.
Et alors tu t’en vas,
Dans un triste brouhaha,
Car tu le sais déjà,
Tu ne reviendras pas.
Jean-Pierre