L'escogriffe et la mer
Un grand escogriffe
Que l’on nomme Tardif,
Dans sa frêle esquif
Tout près des récifs
Semble méditatif.
Un tacaud chétif
Deux maqu’reaux poussifs
Sont les seuls captifs
De sa vaste bourriche.
Snif !!!
De ses vagues écumantes, détergent agressif,
La mer infatigable récure les récifs
Tandis qu’Eole expire un agréable zéphyr
Qui caresse la houle en la faisant frémir,
Et dans l’azur bleuté des tâches blanches et bruyantes
Exécutent un ballet aux figures fulgurantes.
Un parfum d’embruns se diffuse à l’infini
Le soleil au zénith impitoyable cuit
Les peaux blanches et fragiles des touristes allongés
Sur une large plage au sable fin et doré.
Mais soudain le pêcheur qui paraît si pensif
Sursaute et son cœur bat. Alors d’un geste vif
Il saisit une ligne qui se tend fortement,
Se disant « nom de Zeus, c’est pas un éperlan ».
La ligne déchire les flots d’un sifflement aigu »,
Le marin enthousiaste s’écrie : « merci Jésus ».
Il s’imagine déjà, domptant un monstre des mers
Comme un preux chevalier poursuivant les chimères
Alors bien arc-bouté dans son petit zodiac,
Il va vivre l’odyssée comme Ulysse roi d’Ithaque.
Tout à coup le bateau s’élance vers le large
Nerveux, rapide, brutal comme un taureau qui charge
En entraînant pourtant une ancre lourde et solide.
La vitesse augmentant la frêle esquif, trépide,
Risquant à tout moment le tragique naufrage.
Mais le grand escogriffe ne manque pas de courage,
Il s’accroche à la ligne comme on s’accroche au lustre,
Il sait qu’au bout du fil l’attend une prise illustre.
Est-ce un grand requin blanc, un énorme espadon ?
En silence, les yeux clos, il prie Poséidon.
Enivré de vitesse, la coquille de noix
Tracté par ce pégase marin du meilleur choix
Traverse l’atlantique et longe les Amériques
Et retraverse encore pour rejoindre l’Afrique.
Ignorant les sirènes et autres jolies naïades
Le pêcheur n’a qu’un but, stopper d’une estocade
Ce mystérieux poisson d’une force phénoménale
A l’énergie féroce, volontaire, infernale.
Le funeste harpon à la pointe aiguisée
Saura t-il vaincre le grand perciforme égaré ?
Le bateau ralentit et puis s’immobilise.
Le pêcheur soulagé pense que la bête s’épuise,
Mais hélas, tout à coup, dans un saut magistral
Un splendide espadon lui offre un récital,
Sa longue et fine épée semblant percer l’azur.
Jamais il n’avait vu une si belle créature.
Et la bête de légende s’élance à nouveau
Suivie dans sa longue course par le fragile bateau.
Elle semble aller vers le cap de Bonne Espérance.
Le loup de mer, gelé, reste malgré tout en transe.
A l’intérieur des terres s’envolent des nuées de mouettes
Car le dieu de la mer déclenche une tempête.
De gros nuages noirs zébrés de longs éclairs
Déversent un déluge offert par Jupiter.
Comme un génie d’orient sur son tapis volant,
Le bateau surfe en haut des rouleaux écumants,
Montant et retombant comme un yoyo de gosse,
Le minuscule rafiot est loin d’être à la noce.
Mais le navigateur, acharné ou borné,
Ne veut point lâcher prise, il est bien décidé.
Le soleil revient et calme les intempéries,
La houle très agressive soudain’ment s’aplatit,
Et le grand porte-épée remonte vers l’europe.
Le marin d’une main l’eau d’son bateau écope,
De l’autre, il tient la ligne et ne la lâch’ra pas,
Car il sent venir l’heure de l’ultime combat.
En effet, le poisson donne des signes de fatigue.
« C’est tant mieux » pense Tardif, depuis l’temps qu’je navigue.
Et il tire doucement sur la ligne tendue,
Le chevalier des mers paraît s’être rendu.
Il aperçoit une ombre nageant entre deux eaux
Qui s’agite soudain, faisant tanguer l’bateau.
Saisissant le harpon, il frappe entre les yeux
Et dans un dernier saut, le poisson courageux
Meurt comme meurent les héros, dans un profond silence.
Il a bien mérité la fin des ses souffrances.
Le pêcheur harassé arrime l’espadon
Le long de son bateau et pique un roupillon.
Autour les flots se teintent de la couleur du sang
Qui attire forcément des ail’rons inquiétants.
Réveillé en sursaut, le valeureux marin
Aperçoit les requins s’offrant un bon festin.
Ulcéré, enragé, il enfonce son harpon
Sans viser, au juger, dans le dos des poissons.
La bataille est trop rude et de plus inégale,
Et les requins gourmands, pareils à des chacals
Dévorent en quelques heures le si bel espadon,
Laissant juste l’arête dorsale du poisson.
Et le pêcheur en larmes détache le souvenir
D’un combat homérique qu’aurait pu mieux finir.
Nullement découragé, quelque temps plus tard,
L’impétueux navigateur à la pêche repart.
Un grand escogriffe
Que l’on nomme Tardif,
Dans sa frêle esquif
Tout près des récifs
Semble méditatif.
Un tacaud chétif
Deux maqu’reaux poussifs
Sont les seuls captifs
De sa vaste bourriche.
Snif !!!
Jean-Pierre Georget