L’homme de qualité
Tu me fais bien d’honneur à lire mes chansons,
Pour te remercier, bien sur à ma façon,
Je t’en offre une nouvelle entière’ment consacrée
A toi sublime éphèbe, toi l’homme de qualité.
De beaux vers de douze pieds, de longs alexandrins
Mûrement réfléchis et ciselés très fin,
J’habille ma comptine puisqu’elle est destinée
A un illustrissime homme de qualité.
Les Dom Juan de Molière, les élégants Brummell
Ne sont que misérables séducteurs de ruelle
Comparés à ton charme trouble, indéfinissable
Qui attire dans tes bras moult jouvencelles affables.
L’encéphale penché, assis à ton bureau,
Tu sembles méditer sur des sujets banaux,
Mais tes pensées sont hautes et très philosophiques,
Fortement imbibées des thèmes socratiques.
Et moi dans mon usine, moi l’humble prolétaire
Qui ne connaît de nom ni Rousseau ni Voltaire,
D’un effort surhumain quand j’arrive à penser,
C’est à la maigre soupe qui m’attend pour dîner.
Si j’étais écrivain ?...Zola… c’n’est pas brillant,
Alors que toi bien sur serais Chateaubriand,
Ecrivant à nouveau les mémoires d’outre-tombe,
Pendant que j’souffrirais sur un Germinal sombre.
Je ne suis que le bras d’une machine à penser
Que toi tu représentes, ô homme de qualité,
Un plébéien de rien, laborieuse fourmi,
Que toi, ô décideur, domine de ton mépris.
La thèse et l’antithèse menant à la synthèse,
De nos forces unies formons donc la genèse
D’une entente cordiale, ( pacte de non agression),
Qui aux vieux bellicistes servira de leçon.
Il faut bien terminer cette amicale chanson,
Ecrite avec grand soin, beaucoup d’application,
Même si la pauvreté de mon vocabulaire
Révèle ma condition de pauvre prolétaire.
Tu me fais bien d’honneur à lire mes chansons
Et je t’en remercie de bien pâle façon,
Mais je ne suis que suif alors que toi la mèche
Qui éclaire de son mieux mon cerveau qui s’assèche.